Guerre à Gaza: l’Afrique du Sud porte plainte à Israël pour génocide.

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Auprès de la Cour pénale internationale, l’Afrique du Sud a officiellement déposé une requête contre Israël pour génocide dans la bande de Gaza. Gabrielle Lefèvre explique pourquoi il n’est pas étonnant de voir la patrie de feu Nelson Mandela se distinguer de la sorte : l’Afrique du Sud a connu l’apartheid et pèse, à travers les BRICS, dans les changements de rapports de force sur l’échiquier mondial. (I’A)

Nelson Mandela disait que « Tant que la Palestine ne sera pas libérée, notre libération ne sera pas totale ». Pendant sa présidence, à l’occasion de la journée internationale de solidarité avec le peuple palestinien en 1997, il avait envoyé un message de soutien à Yasser Arafat, souhaitant que son peuple puisse exercer son droit à l’autodétermination et établir un Etat indépendant dans le cadre du processus de paix. Mandela précisait clairement qu’il ne remettait pas en question le droit d’Israël d’exister mais en dehors des territoires occupés. Il comparait volontiers la lutte du peuple palestinien à celle des Noirs sud-africains pour leur émancipation.

Une autre grande personnalité sud-africaine, Mgr Desmond Tutu, Prix Nobel de la Paix en 1984, président de la Commission de la vérité et de la réconciliation créée par Mandela en 1995, soulignait la déshumanisation au coeur du régime d’apartheid infligé aux Palestiniens par l’occupant israélien. En 2011, lors de la session du Tribunal Russell sur la Palestine, qui se déroulait à Cape Town sous la présidence de Stéphane Hessel, il était venu témoigner (1):

« Quand quelqu’un vous dit : vous voyez cette maison, c’était autrefois ma maison et elle a été prise par les Juifs, je pense à tout ce qui s’est passé ici à District Six. Des gens disent : voici le mur de l’apartheid, ma tristesse profonde quand je suis à un check point est d’y voir exactement ce qui se passait ici en Afrique du Sud: les traitements inhumains infligés aux Palestiniens, ces jeunes soldats arrogants qui décident si une femme enceinte peut se rendre ou non à l’hôpital. Mon angoisse est de penser à ce que les Israéliens se font à eux-mêmes : participer à un processus déshumanisant, pour les autres et eux-mêmes. Lors de la Commission Vérité et Réconciliation, les gens ont pu raconter les cafés empoisonnés, les noirs abattus et même ce corps humain qui brûle à côté du barbecue d’un africaaner qui buvait sa bière… Ces actes et ces lois déshumanisantes m’angoissent. »

Lors de la même session du TRP, John Dugard, très renommé professeur sud-africain de droit international, déclarait que ce que vivent les Palestiniens est pire que l’apartheid :

« L’apartheid était plus clair car les lois étaient établies au parlement sud-africain. En Israël, il s’agit de décrets militaires et de lois obscures ; l’armée continue le système de ségrégation et l’apartheid même sur les routes ce qui n’était pas le cas en Afrique du Sud. Les lois sécuritaires justifient l’oppression, ainsi, Israël utilise la notion de crime terroriste contre les Palestiniens alors que ce sont les colons qui pratiquent le terrorisme comme ce fut le cas en Afrique du Sud. »

Plainte à la Cour Pénale Internationale et à la Cour Internationale de Justice

Le monde n’a pas entendu ces messages et la répression du peuple palestinien a empiré au fil des gouvernements israéliens pour culminer avec le génocide en cours actuellement à Gaza. Car il s’agit bien d’un génocide, ainsi que l’a démontré la Fédération Internationale des Droits de l’Homme. (2)

Le 9 novembre 2023, 300 avocats et 115 associations ont déposé une plainte à la Cour Pénale Internationale sise à La Haye. (2) Me Gilles Devers qui portait cette plainte voulait imposer le débat sur le génocide et obtenir une enquête approfondie immédiate afin de pouvoir prononcer des mandats d’arrêts. Ce dernier point est encore en débat à la CPI.

Or, rappelle Me Devers, il existe aussi, à La Haye, la Cour Internationale de Justice (CIJ), organe judiciaire principal de l’Organisation des Nations Unies, une juridiction civile qui ne peut être saisie que par les Etats. Israël n’a pas signé le statut de Rome organisant la CPI (comme les Etats-Unis d’ailleurs) mais a ratifié la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide. Tout Etat ayant ratifié cette convention peut saisir la CIJ pour demander que des mesures urgentes soient prises afin d’arrêter le génocide en cours à Gaza, explique Me Devers.

C’est ce qu’a fait l’Afrique du Sud qui constate que les actes commis par Israël s’apparentent bien à un génocide vu « l’intention spécifique de détruire les Palestiniens de Gaza en tant que partie du groupe national, racial et ethnique ». Israël, donc, manque aux obligations qui lui incombent au titre de la convention contre le génocide. L’Afrique du Sud demande à la CIJ d’indiquer des mesures conservatoires comme « protection contre un nouveau préjudice grave et irréparable aux droits que le peuple palestinien tient de la convention contre le génocide ».

On attend, déjà en ce mois de janvier, une décision de la CIJ sur la qualification de génocide et sur la nécessité de mesures provisoires pour le prévenir. Ensuite, tous les Etats signataires de cette convention devront se positionner. L’enjeu est important puisque certains d’entre eux, soutiens inconditionnels d’Israël, pourraient être attaqués pour complicité de génocide.

Une autre vision de l’ordre mondial

En lançant cette démarche juridique, l’Afrique du Sud, non seulement poursuit la vision de Mandela et de Desmond Tutu mais aussi se profile en leader moral dans le concert de nations. Ce pays est un des plus puissants de l’Union Africaine et est membre du groupe des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et, depuis 2011, l’ Afrique du Sud). Lors du dernier sommet du BRICS, il a été décidé que, à partir du 1er janvier 2024, l’Arabie saoudite, l’Égypte, les Émirats arabes unis, l’Éthiopie, l’Iran et l’Argentine intègrent le groupe. L’Argentine a décidé de rester en dehors car ce pays présidé par un populiste d’extrême-droite entend rester attaché aux Etats-Unis. Les BRICS entendent bien renforcer une nouvelle puissance économique face aux Etats-Unis et mettre fin à l’hégémonie du dollar.

La démarche sud-africaine prend ainsi toute son importance dans le « concert » des nations.

Nombre de pays du monde ont aussi dénoncé le deux-poids, deux mesures des Etats-Unis et de l’Europe par rapport à l’invasion russe en Ukraine. Ils ont rapidement attaqué le président russe Vladimir Poutine devant les instances internationales au nom du droit international. Par contre, ils n’ont rien fait lorsque commencèrent les bombardements indiscriminés sur Gaza et le massacre de milliers de civils dont une majorité de femmes et d’enfants. L’Union européenne, devenue vassale économique et militaire des Etats-Unis, continue à soutenir l’Etat d’Israël, y compris militairement, ce qui insupporte la majorité des nations du monde. Les votes en assemblée générale des Nations Unies sont clairs à ce sujet. La démarche sud-africaine vers une instance juridique des Nations Unies illustre aussi la nécessité de cette institution.

Le seul espoir d’éviter une dislocation des Nations Unies est de réformer en profondeur le fonctionnement du Conseil de sécurité afin que cette instance – ou une autre à inventer – puisse devenir un véritable garant de la paix mondiale. Sinon, sans la boussole du droit international, le monde basculera dans l’horreur de la guerre économique et militaire.

Pour l’heure, l’urgence est de sauver la vie des Palestiniens en forçant l’actuel gouvernement israélien à arrêter le génocide.

Nos pays en ont le pouvoir : rappel des ambassadeurs, sanctions économiques et mesures juridiques et politiques telles que celles qui ont été appliquées à la Russie.

En 2024, nous élirons nos parlementaires européens. L’enjeu est crucial : arrêter la montée de l’extrême-droite (dont ont voit la capacité de nuisance en Israël), empêcher le désastre climatique et les ravages provoqués par les guerres au détriment des populations les plus vulnérables, rétablir des relations économiques permettant un réel développement social des populations, ce qui représente une solution infiniment plus sage au problème des migrations que de se barricader par la force au détriment du respect des droits humains.

Et puisque l’Afrique du Sud est intervenue dans la sombre actualité palestinienne, rappelons que la philosophie qui a inspiré Nelson Mandela et Desmond Tutu est celle de l’Ubuntu, concept en langue bantoue qui est souvent décliné comme ceci : « Je suis ce que je suis grâce à ce que nous sommes tous ». En réalité, une belle définition du mot « humanité » ou « comment améliorer le monde » .

Source : Investig’Action

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