Retirée volontairement du ciel de l’AES par solidarité à son gouvernement qui avait déclaré cette région du Sahel zone rouge suite aux coups d’Etat successifs intervenus dans cette partie du continent, la compagnie aérienne française s’est vue opposée un refus catégorique des dirigeants de ces pays lorsqu’elle s’est décidée à reprendre ses vols. Ceci, non sans conséquence sur sa trésorerie.
La France a l’art de se tirer une balle dans la tempe. Dans les pays de la ‘Confédération AES,’ Air France a pris une en plein vol en se lançant dans des batailles purement politiciennes au détriment des enjeux économiques. En retour, la rentabilité financière de ce fleuron des airs de la France est entrée dans une zone de turbulence.
Arrogance et bêtise géopolitique
Suite à la prise de pouvoir le 26 juillet 2023 au Niger par le Général Tiani, soutenu par les autorités du Mali et du Burkina Faso, la compagnie aérienne Air France avait décidé de manière unilatérale de suspendre ses rotations vers Bamako le 7 août 2023. Avant cette crise, ‘Air France’ assurait 5 vols en direction de Ouagadougou et 4 sur Niamey. Quotidiennement (7j/7), elle opérait ses rotations entre Paris-Bamako en Boeing 777-200ER, pouvant accueillir 40 passagers en classe Affaires, 24 en Premium et 216 en Economie. Le 15 septembre, Air France ‘prolonge jusqu’au 24 septembre inclus, la suspension de ses vols en partance et à destination du Mali et du Burkina Faso.’ Tandis que ‘la desserte de Niamey demeure suspendue jusqu’à nouvel ordre.’
Air France justifiait son retrait du ciel de l’AES par le ‘coup d’Etat au Niger’ et ‘la situation géopolitique’ au Sahel. ‘A la suite du coup d’Etat au Niger et en raison de la situation géopolitique dans la région du Sahel, Air France est amenée à adapter son programme de vols vers et de Niamey (Niger), Bamako (Mali) et Ouagadougou (Burkina Faso).’ Son porte-parole poursuit. ‘En lien avec les autorités françaises, la compagnie suit en permanence l’évolution de la situation géopolitique des territoires desservis et survolés par ses appareils et rappelle que la sécurité de ses clients et de ses équipages est sa priorité absolue.’
Rétorsions in-imaginées
La France qui sait prendre des décisions à l’emporte-pièce avait déclaré quatre fois, après le 7 août 2023, la ‘reprise-non-reprise’ dans le ciel de AES—cumulant les suspensions. Lorsqu’elle annonce la reprise de ses vols pour le 12 août 2023, l’Agence nationale de l’aviation civile (ANAC) du Burkina Faso lui oppose un refus catégorique en faisant valoir qu’elle devrait d’abord obtenir son nouveau programme de vols. Le ministère burkinabè des transports, en octobre 2023 conditionne l’examen de la requête française au retrait du Faso de la ’zone rouge’ établie par le Quai d’Orsay. Décision prise unilatéralement avant la suspension arbitraire du 7 août.
En réponse à la suspension de la délivrance des visas par la France et des vols Air France vers le Mali, Abdoulaye Diop, ministre malien des Affaires étrangères, le 12 août 2023 déclare. ‘Si c’est pour sanctionner le Mali parce qu’il supporte le Niger, on le fera. Cela ne va pas nous dissuader. S’ils ont suspendu pour reprendre le 11, ils ne vont pas reprendre. Nous n’allons plus accepter que Air France décide de faire ce qu’elle veut chez nous.’ En représailles, la licence d’exploitation (autorisation administrative individuelle exigée pour exercer une activité de transport aérien public) d’Air France vers le Mali est annulée. ‘ Sur ce, il ouvre le ciel malien à la concurrence. ‘La compagnie va laisser la place à d’autres qui veulent intervenir dans notre pays.’ Dans le cadre du respect de la règle de la réciprocité. Il annonce la suspension de la délivrance des visas aux ressortissants français, non sans préciser qu’ils ne vont pas au Mali par amour. ‘Il faut que les gens comprennent que la France a aussi besoin du Mali. Si des Français viennent au Mali, c’est parce qu’ils y ont un intérêt.’ Le ministre Diop gratte aussi l’aspect rentabilité de la ligne Paris-Bamako. ‘Air France gagne par mois plus de 500 millions de FCFA sur la destination Mali.’
Le 10 octobre 2023, Air France annonce une fois encore la reprise de ses vols vers Bamako pour le 13 en affrétant un Boeing 777-200ER de la compagnie portugaise Euro Atlantic Airways. Mais le 11, les autorités du Mali annulent l’autorisation d’Air France de faire voler ses appareils vers Bamako. L’autorité aéronautique fait savoir que la demande de reprise est en phase d’étude. ‘Par conséquent, les vols d’Air France demeurent suspendus pendant cette procédure.’ Le ministère malien des transports ‘réitère son engagement à défendre la souveraineté du Mali.’
Un communiqué du 23 septembre 2023 publié par les autorités nigériennes interdit le survol de leur territoire par les avions français. Le texte indique, ce jour, l’espace aérien du Niger ‘est ouvert à tous les vols commerciaux nationaux et internationaux, à l’exception des avions français ou des avions affrétés par la France, dont ceux de la flotte d’Air France.’ Cette note précise que le ciel nigérien reste fermé pour ‘tous les vols militaires opérationnels et vols spéciaux,’ sauf autorisation spéciale des autorités.
Mauvaise santé financière
Le chiffre d’affaires annuel moyen d’Air France de 2011 à 2020 en valeur relative est de -4,89 %. Il est de -2,7% en 2014, -4,2% en 2016, et de -68,6 % en 2020. Les taux positifs oscillent entre 0,7 et 5 avec un pic de 7 % (2012). Ses années de bonne santé financière sont 2021 et 2022. En 2022, ‘les revenus générés par le transport de passager dépassaient les 19 milliards d’euros avec plus de 83 millions de voyageurs,’ selon ‘Statista.’ Tandis que ‘le chiffre d’affaires de l’activité de cargo était de 3,5 milliards d’euros pour 931.000 tonnes transportées.’
Entre 2017 et 2018, la vente des billets d’avion selon l’‘Agence Ecofin’ avait baissé de 5 millions d’euros, passant au cours de ces années de 1,17 millions d’euros à 1,12 millions. Le chiffre d’affaires passagers avait aussi régressé allant de 3,02 millions d’euros à 2,9. En 2020, le chiffre d’affaires en Afrique de Air France-KLM sur ses 48 destinations africaines et de ‘Transavia’ (sa filiale low-cost) dont 43 sont situées au sud du Sahara, atteint un indice de 75 par rapport à 2019. Alors qu’il était de 20 ou 10 dans certaines zones. En difficulté à l’échelle mondiale, cette compagnie s’était appuyée sur le Continent pour amortir le choc de l’épidémie de Covid-19 sur ses comptes. Air France-KLM selon ses propres données post-Covid-19, a généré sur neuf mois en 2023, 2,6 milliards d’euros de chiffre d’affaires en Afrique subsaharienne et Moyen-Orient.
Les résultats financiers pour 2023 publiés par cette compagnie montrent que le nombre de passagers au quatrième trimestre 2023 était de 22,3 millions, avec un coefficient d’occupation moyen de 85,3%. Une baisse de 0,6% sur un an. Le taux de remplissage prévisionnel des réservations pour le premier trimestre 2024 sur ‘Transavia,’ malgré le déploiement de 10 % de capacité en plus au cours des trois mois, a enregistré des facteurs de charge de réservation (mesure du rapport entre le nombre de passagers réels et le nombre de sièges disponibles) de -1 % sur un an au premier trimestre.
Volonté politique, un grain de sénevé
Les tensions géopolitiques entre la France et la ‘Confédération AES,’ ont fait perdre à Air France la rondelette somme de 65 millions d’euros (FCFA 42 575 000 000) selon ses résultats financiers au quatrième trimestre 2023. L’année précédente à la même période, elle avait réalisé un bénéfice de 134 millions d’euros (FCFA 87 770 000 000). Le refus du ciel de la ‘Confédération AES’ à Air Afrique l’a obligée à arrêter ses vols en direction du Ghana après le dernier effectué le 25 octobre 2024. KLM qui y vole quotidiennement en Boeing 777 a pris la relève.
Ce coup de ciseaux sur l’image et la rentabilité d’Air France est le prix de son arrogance coloniale. Car, elle ‘ne peut pas se lever un beau matin et suspendre ses vols, sans aucun égard pour les conventions en vigueur dans le secteur,’ décrie le ministre Abdoulaye Diop. Ce conflit instruit sur la vulnérabilité des occidentaux, si les décideurs africains ont une volonté politique pétrie de foi aussi petite qu’un grain de sénevé (Matt. 17:20, Luc. 17:6).
Retour misé sur les endo-colons
Le pacte de stabilité et de croissance ou le niveau moyen d’endettement public au sein de l’Union européenne est de 60 % du PIB. Au deuxième trimestre 2024, la France avec un ratio d’endettement de 112,2 %, soit environ 3 230 milliards d’euros, occupe la 3e place sur les six pays membre les plus endettées. Elle est précédée par la Grèce (163,6 % du PIB) et l’Italie (137,0 % du PIB). Dans ce classement des gros endettés, elle vient avant la Belgique (108 % du PIB), l’Espagne (105,3 % du PIB) et le Portugal (100,6 % du PIB). A l’autre bout de la chaîne, les taux les plus bas sont enregistrés en Bulgarie (22,1 %), en Estonie (23,8 %) et au Luxembourg (26,8 %).
La situation financière de Air France, mise à genoux par les pays de l’AES est à l’instar de l’économie moribonde de la France. Conséquences—pertes financières énormes. Fermeture des lignes. Emplois supprimés. Les couloirs laissés vacant fragmentés et occupés par des transporteurs comme Turkish Airlines, Royal Air Maroc ou Corsair. En plus, le contournement de cet espace géographique pour les vols à destination des pays voisins n’est de nature à arranger les choses. Résultat. Augmentation de la durée des vols, de la consommation en carburant avec une conséquence sur le coût du billet d’avion.
Une réorganisation du marché qui montre que la relative domination du ciel africain par Air France est éphémère. Sa directrice générale Anne Rigail semble l’avoir compris. Et pour sauver sa compagnie de l’étouffement financier, elle négocie son retour dans l’espace AES. Sa stratégie consiste à nouer des liens commerciaux avec les pays comme la Côte d’Ivoire et le Sénégal, afin de revenir progressivement sur les marchés de la ‘Confédération AES.’
Feumba Samen