Les ordures ménagères solides importées des grandes villes pendant les funérailles et les réunions du weekend ajoutées à celles produites par les populations sont abandonnées sur le bord de la route, sur la place du marché et autres lieux publics. Ces dépôts informels d’ordures donnent à cette municipalité, en l’absence de politiques et stratégies d’assainissement bien pensées et élaborées, un aspect lugubre à cette ville qui a pourtant été toujours naturellement propre.
Suivant le décret N° 2005/104 du 13 avril 2005, le MINATD intervient dans le domaine des déchets municipaux à travers les Collectivités Territoriales Décentralisées (Communautés urbaines et municipalités) dont il assure la tutelle. Sur cette droite ligne, la commune de Bazou a un ‘projet d’assainissement de la voirie’ évalué à FCFA150 millions, qui malheureusement, sommeille dans les tiroirs de la mairie. Pendant ce temps, des cartons, gravas ou ordures ménagères solides (contenants de repas de livraison, emballage, boites de conserves, déchets d’équipement électriques et électroniques (DEEE) ou e-déchets, bouteilles plastiques et verre) sont abandonnés illégalement sur le bord de la route, sur la place du marché et autres lieux publics. Les rejets anarchiques dans l’eau (caniveaux) et ravins obstruent par endroit les voies d’évacuation d’eau et salissent les rivières.
Pollution esthétique
Il est vrai, Bazou n’est pas encore une vraie cité-poubelle. C’est une ville/village naturellement propre. Les effets du défaut de gestion des déchets sont moins impressionnants. Néanmoins, toute défaillance sur la gestion des déchets de la commune peut avoir des effets catastrophiques pour la qualité de vie des administrés et l’activité économique de la ville. L’agressivité de l’insalubrité (dépôts sauvages d’ordures et leur incinération informelle dans les rues) ne donne pas l’impression de pouvoir s’arrêter. Ces décharges informelles de déchets forment ce que les géographes Diabagate Souleymane et Konan Kouamé Pascal appellent une ‘pollution esthétique’ du cadre de vie. Ces empilements d’ordures exposent la population à des risques environnementaux, géomorphologiques, et matériels. Ils affectent les déplacements. Soumettent la population à des risques de problème de santé publique. Puisque les odeurs issues de la décomposition et/ou la fermentation sont emportées par le vent, polluent l’air, provoquent des nuisances olfactives et une gêne visuelle. Pire, ces décharges clandestines aggravent certaines pathologies comme le paludisme, les diarrhées, et les maladies respiratoires.
Les environnements propres et bien entretenus favorisent les comportements citoyens et éco-responsables. L’inverse est aussi vrai. Un point de collecte mal pensé, mal géré, peu accessible, ou inexistant, décourage les comportements civiques. Alors, plutôt que d’être choqués par l’omniprésence des ordures, certains pourraient s’habituer à leur présence. Cette accommodation pourrait enclencher le ‘broken windows theory’ ou la ‘théorie des fenêtres brisées.’ Concept introduit en 1982 aux Etats-Unis par le criminologue George L. Kelling et le politologue James Q. Wilson et qui ‘désigne le fait qu’un acte de détériorations de l’espace public, s’il n’est pas réprimandé favoriserait des comportements non-civique.’ Cela s’observe à Bazou. Personne (y compris le personnel et agents de la mairie, élites locaux et ceux vivant dans d’autres contrées du Cameroun) ne se gène pas pour jeter une ordure (peu importe la nature) dans la rue et/ou dans les caniveaux. Simplement parce qu’il est facile de copier ce que l’on voit les autres faire.
Buissons, nids de déchets sauvages
L’inertie du staff municipal peu imaginatif, sans un bon sens anticipatif, ni une politique pro-environnementale appliquée a favorisé l’installation des ‘broken windows’ à Bazou. Ce qui a abouti à ‘des agissements antisociaux d’une partie des habitants, une indifférence de la part des autres et une absence d’application de la loi’ par les autorités municipales. Toute chose qui a permis à la population de prendre avantage de l’insalubrité routière, pour constituer des dépôts clandestins d’ordures dans les hautes herbes en bordure des routes et pistes. Pourtant, l’entretien routier par cantonnage avait été transféré aux communes en 2018 par l’Etat. Ce transfert de compétence avait pour but de ‘responsabiliser les acteurs locaux que sont les maires.’ Avait déclaré Etienne Owono Owono, Directeur des collectivités territoriales décentralisées au ministère de l’Administration territoriale et de la décentralisation. Il ajouta que c’était ‘une étape supplémentaire dans le renforcement du processus de décentralisation.’
Au nombre des tâches confiées à la commune par cette ‘cession,’ on note le débroussaillement des abords des routes, le nettoyage des équipements, le décapage et le nettoyage des accotements, le curage des fossés et exutoires… et le paiement suivant les quantités réalisées. ‘Une politique qui permet d’assurer une meilleure gestion de l’environnement routier et relever le niveau de service des routes.’ Un tel plan d’entretien routier sans le dire, fait des communes les responsables du défaut d’entretien des voies communales et des conséquences qu’il est susceptible d’entraîner. Hélas!, les abords des routes de la commune de Bazou sont colonisés par le sissongho. Cette graminée entre en compétition avec les plantes sauvages et les herbes folles pour, d’une part dévorer les caniveaux déjà pris en otage par les bouteilles plastiques et autres objets abandonnés, et d’autre part agresser la chaussée (la route). Fouettant au passage véhicules, motocyclistes et piétons. Et comme chaque plante produit plus d’un million de graines qui se sèment au gré du vent, leur développement est très rapide dans cet environnement favorable presque jamais nettoyé.
Frapper au porte-monnaie
Pour prévenir l’extension des sites sauvages de dépôts de déchets, il est nécessaire d’appliquer le Principe du ‘pollueur-payeur’ qui signifie que ‘c’est le pollueur qui doit assumer le coût de la pollution. [C’est] l’un des principes qui sous-tendent la gestion de l’environnement au Cameroun tel que prescrit à l’article 9 alinéa (c) de la Loi-Cadre relative à la Gestion de l’Environnement.’ Ainsi, ‘les frais résultant des mesures de prévention, de réduction et de lutte contre la pollution doivent être supportés par le pollueur.’ Ce principe de ‘pollueur-payeur’ vise à frapper le pollueur au porte-monnaie. Son application a deux avantages moral et éthique. ‘faire supporter aux producteurs de déchets le financement de la gestion de ceux-ci en fonction des quantités et de leur nature.’ Ce qui a pour conséquence, d’‘inciter les producteurs à davantage de prévention.’
Pour ce qui est de Bazou, ses plus grands pollueurs viennent des villes-capitales (Douala et Yaoundé), et des capitales-régionales du Cameroun. Parmi eux, ceux que l’on nomme ‘élites’—les ‘amis’ du maire de Bazou, Djeuhon Frédéric. Le maire lui-même. Le temps d’un weekend pour des obsèques, funérailles, réunions, ou pour des voyages de loisir, ces ‘barons des tropiques’ exportent des ordures à Bazou. Puis repartent presque incognito, en créant derrière eux les conditions aboutissant à la dégradation de l’environnement. Les déchets qu’ils produisent sont constitués essentiellement de contenants de nourriture (carton, plastique, papier…), des emballages d’eau (plastique), de boisson (verre, aluminium, plastique), restes et déchets de cuisine. Les risques sont ainsi transférés des populations urbaines productrices de déchets vers les populations locales réceptrices. Même si ces dernières contribuent à pourrir leur milieu de vie, elles ne sont pas productrices directs de déchets. Elles sont victimes des risques de transferts des déchets. Et sont exposées aux nuisances causées par ces ordures dont elles ne connaissent pas les origines.
S’il faut frapper au porte-monnaie, ce serait celui de ceux qui fournissent la matière pour constituer des dépôts informels de déchets qui contribuent à la dégradation du cadre de vie des habitants de Bazou. Mais il ne faut pas rêver. Le concubinage incestueux qui rythme les relations au Cameroun, interdit à Frédéric Djeuhon de frapper au porte-monnaie de ses semblables. Encore moins au sien.
Responsabilité de la population
Au rang des acteurs de la filière gestion des déchets, la population est souvent incriminée. Dans le cas de Bazou, cette accusation n’a pas lieu être. Du moins pour le moment. La commune est la première démolisseuse de la beauté de ce village-ville. Comme toutes les collectivités locales, elle dispose des prérogatives en matière de gestion urbaine. Elle a en charge des investissements liés à la satisfaction des besoins essentiels des populations (eau, électricité, assainissement, voirie, aménagements urbains,…). Il revient donc au Conseil communal de décider de la restructuration urbaine, du sauvegarde de l’environnement, et de la réhabilitation des sites ‘infectés’ en passant des actions fragmentaires à des opérations intégrées.
L’absence de l’approche communautaire (ou sociale) est la cause de la dégradation de ce village-ville. La participation de la population, de préférence regroupée en associations de quartier et chargée de réaliser par elle-même la tâche de salubrité avec l’assistance technique de l’administration municipale est défaillante. Et le ‘jeudi propre,’ une farce. L’insalubrité qui fait son nid à Bazou est moins imputable à l’insuffisance financière qu’à l’incapacité technique du maire à organiser et à structurer le nettoyage du territoire communal, à circonscrire les lieux de dépôts de déchets et à prévenir la multiplication des dépôts non-agréés.
Perspective éducative
Cet état de fait—bien que la gestion des déchets ménagers solides soit une préoccupation des municipalités—, montre les limites des mécanismes de gestion des ordures ménagères par la commune. Ceci d’autant plus que Bazou pour l’instant n’est pas une localité carrefour. Mais un terminus qui ne souffre pas d’une explosion démographique, ni de pollution économique. Bazou a donc droit de jouir des effets induits de la salubrité. Frederic Djeuhon doit trouver un moyen pour débarrasser cette ville de ces nids de maladie. Une commission environnement active, mobile sur le territoire communal est nécessaire pour faire un état des lieux de la situation de la salubrité et élaborer une matrice des actions à mener pour nettoyer ce village.
Les préoccupations d’anticipation devraient être importantes afin de couper le cordon ombilical qui se structure entre cette question sociétale et la population, pour qu’elle ne devienne pas un problème civique et moral crucial à long terme. Car les dépôts sauvages d’ordures érode certains acquis citoyens, et pourrait laisser de mauvaises habitudes s’enraciner durablement. Une perspective éducative pourrait encourager l’adoption de comportement vertueux et la mise en place de politiques pro-environnementales. L’ensemble de ces mesures couplé à la pratique du terrain éviterait la dégradation de l’environnement et les désagréments sur l’état sanitaire de la population.
Feumba Samen