Lors de son discours traditionnel à la jeunesse donné le 10 février 2025 à la veille de la célébration de la fête dédiée à cette tranche d’âge, le chef de l’Etat camerounais est resté égal à lui-même. Il a su allier fermeté et humour et faire preuve d’un paternalisme bon aloi sans oublier d’appeler les jeunes à plus de responsabilité.

Sur l’échiquier politique camerounais, Paul Biya est un phénomène à part du point de vue de la communication, et de son envergure politique. Chacun de ses discours dans un style très personnel est un mélange volontaire de fermeté innocente et d’ironie quand il doit froisser les oreilles des politiques, ou un condensé d’esprit paternel teinté d’humour lorsqu’il s’adresse à ses ‘chers jeunes compatriotes.’ Son premier discours de l’année, prononcé lundi 10 février 2025 en direction de la jeunesse ne déroge pas à la règle. Et comme tous ces discours, celui-ci a été scruté intra et extra muros du Cameroun.
Double interprétation
Dans son message du 10 février, Paul Biya observe qu’une jeunesse ‘talentueuse,’ ‘courageuse,’ pétrie d’un zeste de ‘discipline’ mêlé à ‘des efforts acharnés,’ est capable de prouesses. Se référant aux ‘Lions Indomptables’ qui est un creuset de jeunes, et en félicitant ses victoires, il rappelle que cette‘dynamique’ ne pourrait se poursuivre et ‘porter les fruits espérés, que si la concorde, la solidarité et l’esprit d’équipe règnent au sein et autour des Lions Indomptables.’ Ces conseillent pointent discrètement la crise à rebondissements qui divise ses acteurs. A cet égard, il a appelé ‘au sens des responsabilités de tous les acteurs.’ Malheureusement, les clans en conflit ont leur interprétation de cet extrait du discours du chef de l’Etat. Les uns affirment qu’il a ‘désavoué la bande de Mouelle Kombi.’ Tandis que d’autres répondent qu’il a jeté le discrédit sur la Samuel Eto’o et les siens en saluant les réussites de Marc Brys. Pourtant, les propos du Président ne peuvent être joués ni sur l’une ou l’autre gamme.
Taire les symboles de l’incrédulité
Comme le 10 février 2016 quand il disait à ses « chers jeunes compatriotes » que « La terre ne trahit jamais, » et les encourageait à ne ‘[pas avoir] peur de franchir le pas’ afin d’être ‘les entrepreneurs agricoles dont le Cameroun a besoin, « il les a ‘exhortés » ce 10 février 2025« une fois de plus à saisir les opportunités qu’offrent des domaines tels que l’agriculture ou l’élevage. » Car, « c’est un métier noble et rémunérateur. » Il rappelait en 2016 que « dans l’agriculture, il est souvent possible de faire beaucoup avec peu. » Pour ceux qui ne vont pas aux nouvelles, il les informa que « de nombreux programmes existent au niveau du gouvernement pour soutenir le développement rural. » Puis, ajouta qu’ils pourront « tirer un grand bénéfice des programmes d’éducation citoyenne offerts par l’Agence du Service Civique de Participation au Développement. » Comme un ultime appel, il leur avait lancés, « Informez-vous sur ces programmes. » Puis, insista, « vous devez pouvoir en profiter. » Afin d’encourager les jeunes à s’investir dans ce secteur, un Plan Triennal « Spécial Jeunes » de FCFA102 milliards avait été annoncé en 2016.
Pour apporter un peu de clarté dans l’esprit de cette jeunesse ‘St Thomas,’ symbole de l’incrédulité, le chef de l’Etat leur a présenté les accomplissements de Samuel Tony Obam Bikoue et Tata Bakary, deux jeunes modèles de réussite dans le secteur agro-pastoral.
Développer l’auto-emploi
Sortir les jeunes de la précarité semble être l’une des préoccupations majeures du gouvernement. En plus de la prime d’excellence académique offerte depuis 2009 aux étudiants méritants des universités d’Etat, la prime présidentielle s’est étendue en 2022 aux meilleurs lauréats du Brevet de Technicien Supérieur (BTS) et Higher National Diploma (HND), des Instituts Privés d’Enseignement Supérieurs (IPES). En 2011, à la suite de son allocation à la jeunesse, 25.000 jeunes diplômés avaient été recrutés à la fonction publique—l’un des recrutements le plus important au Cameroun. Malheureusement, ‘quelles que soient la volonté du gouvernement et les ressources financières dont notre pays peut disposer, elles ne seront jamais suffisantes pour offrir à tous les jeunes un emploi dans la fonction publique ou dans le secteur privé.’ Avait assuré le chef de l’Etat à ses compatriotes. Cette vérité cruelle s’impose à tous les gouvernements du monde. Pour trouver une petite issue, le Président Biya a conseillé à cette ‘génération la plus imprégnée de technologie de se servir des atouts qu’offre le numérique pour développer l’auto-emploi et relever les défis de son époque.’
Boucher ‘l’oreille aux sirènes du chaos’
Paternel, Paul Biya a pris l’habitude de protéger les jeunes des ‘esprits chagrins.’ Il a aussi pour tradition à mettre en parallèle, les ‘bons’ et les ‘méchants’ jeunes. En 2016, il loua d’une part, les ‘jeunes engagés au front’ qui ‘protègent notre pays de la menace terroriste.’ Et s’insurgea d’autre part, contre ces ‘autres jeunes qui se sont fait recruter, au prix d’importants sacrifices dans l’administration, désertent ensuite leurs postes d’affectation, tout en continuant de recevoir une rémunération.’ Sur ce constat, il exhorta les jeunes à se détourner de cette voie qui est ‘ce qu’il ne faut pas faire.’ Puisque ‘la recherche du gain facile et l’enrichissement sans cause sont des voies de perdition qu’il faut bannir des milieux jeunes.’
Cette année, il embraye sur deux axes. A la jeunesse majeure consciente, il lui demande à se préparer ‘en toute responsabilité, dans le calme et la sérénité,’ à prendre part aux élections d’octobre 2025. Puis prescrit à ses ‘jeunes compatriotes’ en général, ’de ne pas prêter l’oreille aux sirènes du chaos que font retentir certains irresponsables.’ Il insiste. ‘Ne les laissez pas se servir de vous pour assouvir leurs desseins pernicieux, à savoir créer le désordre dans notre cher et beau pays.’ Enfin, il les convie à ne pas tomber dans le piège des ‘promesses fallacieuses…pour la plupart irréalisables qu’ils essayent de [leur] vendre.’ Sur cette note, il convie cette jeunesse sur la base de son message de 2016, à ‘s’imprégner des valeurs républicaines et citoyennes […], en faire le fondement d’un engagement authentique, sur tous les fronts, qu’ils soient sécuritaires, économiques, culturels ou sociopolitiques.’
Homme constant
Paul Biya est un homme constant qui à l’art de donner du travail à ses adversaires politiques. Il le prouve à chaque fois qu’il prend la parole. Sa déclaration sur sa ‘détermination à servir [qui] demeure intacte et se renforce au quotidien,’ lâchée dans son adresse à la nation le 31 décembre 2024, avait secoué le Cameroun jusqu’aux portes de l’enfer. Enflammé les plateaux de débat télé. Mis en ébullition les enclaves politiques. Et fait exploser l’enfer logé dans les églises catholiques, au point que Yaouda Hourgo, Evêque de Yagoua avait invoqué le diable pour diriger le Cameroun. ‘On ne va pas souffrir plus que ça encore. On a déjà souffert. Le pire ne viendra pas. Même le Diable qu’il prenne d’abord le pouvoir et on verra après.’ Avait supplié l’Evêque adepte de Lucifer(?). Le chef d’Etat camerounais qui a cette manie de piquer sur la plaie, est revenu sur ses pas le 10 février 2025. ‘Je continuerai d’être à vos côtés pour relever les défis auxquels vous êtes confrontés.’ Cette fois, le diable n’est sorti ni de sa boîte, ni de l’enfer, et encore de la robe de Yaouda.
Feumba Samen
