Cameroun/Manga Masukè Ebenezer: Ma passion, les fleurs.

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A 69 ans, il opère comme horticulteur ornemental. Cet ancien haut cadre de la société pétrolière Pecten, filiale de la compagnie anglo-néerlandaise Shell, est diplômé de droit des affaires et fiscalité des universités Paris 1 Panthéon Sorbonne et de l’Institut de droits des affaires Paris 2 option conseil juridique et fiscal. A 47 ans, il a laissé tomber tous les avantages liés à son poste pour se consacrer à ses amours : les fleurs.

Dans sa plantation de fleurs d’anthurium à Buéa, dans le sud-ouest anglophone, dans laquelle il emploie une dizaine de personnes, Manga Masuke, semble ne pas s’ennuyer. L’activité est trépidante.  Et  les grossistes sont là  aux premières heures de la matinée pour se procurer les fleurs qu’ils achemineront à Douala et à Yaoundé.  Il donne des instructions. Ensuite, il vérifie si les coupes sont bien faites et les bouquets bien rassemblés. « La fleur fraiche d’anthurium est un produit délicat mais magnifique. Si vous lui accordez l’attention qu’elle mérite elle vous le rendra au centuple par son éclat et sa prestance dans votre vase », nous briefe-t-il avec beaucoup de ferveur.

C’est pour toutes ces raisons que la fleur demeure un produit réservé à une clientèle passionnée. « Je ne conseille pas à ceux qui ne sont pas prêts à dépenser de s’y lancer. Parce que très souvent, on devient accro, la fleur est une drogue douce », poursuitil ironiquement.

Départ volontaire

En 1999 des circonstances exceptionnelles l’ont aidé à arriver à ses fins. Les dirigeants de Pecten Cameroon, filiale de Shell Usa, entreprise pour laquelle il a travaillé pendant 17 ans (1982-1999) après avoir été employé comme financial analyst à Mobil Exploration dès son retour au Cameroun en 1981, acceptent que certains cadres prennent leur départ volontaire alors que la société se portait bien.

Une décision pas très courante chez les anglo-saxons, peu enclins à verser des indemnités à des employés qui décident volontairement de quitter l’entreprise. Une chance inouïe pour ce passionné d’horticulture de réaliser ses rêves.

Ce choix n’était non plus facile à expliquer à son entourage car au Cameroun, pays de l’argent roi, un cadre supérieur qui gagne relativement bien sa vie ne démissionne pas.   » J’avais conscience que j’allais diviser mon niveau de vie par quatre ou cinq  mais je n’ai jamais été fasciné par le matériel ».

Anticonformiste

La passion a pris le dessus chez ce compatriote qui se réclame anticonformiste et a toujours aimé faire des choses à contrecourant.

En Europe ou aux USA, les exemples de cadres supérieurs d’entreprises qui quittent leurs entreprises pour se lancer dans l’agriculture foisonnent.

En quoi suivre ce chemin dans un pays essentiellement agricole comme le Cameroun serait-il une folie ? s’interroge cet ancien expert en droit et fiscalité.

« Tenez. Le 23 janvier 2014, au journal télévisé de 20 heures de France 2, on a montré un cadre supérieur d’une prestigieuse banque d’affaires qui a laissé son job de trader pour devenir professeur d’école primaire (instituteur). Que dire de François Xavier Demaison, ce français bien connu qui a laissé son travail d’avocat fiscaliste à New York pour se lancer dans la profession d’humoriste », rappelle-t-il aux sceptiques et à tous ceux à qui il manque le goût du risque.

Certes, le contexte est différent nous dirait-on. Manga Masuke, comprend cependant la position de ses concitoyens qui adopteraient une autre attitude dans un milieu où le chômage est exponentiel et la pénurie d’emploi est légion. « C’est vrai que si j’avais les problèmes de survie, ce n’est pas le créneau que je choisirai », nuance-t-il.

Cette décision n’a pas été acceptée de gaieté de cœur par sa propre épouse. « Au début, nous n’étions pas d’accord.  Les femmes ont la faculté de vous ramener très vite sur terre lorsque vous planez. Mais elle a fini par comprendre que c’était ma passion ».

Adeline Mouasso Priso, princesse sawa, de la chefferie Bodjongo dans le canton Bell à Douala, à laquelle il est marié, a voulu jouer la carte de la prudence. Certes, les affaires peuvent rapporter gros, mais que deviendront-ils si les choses ne marchent pas ? Une façon, pour cette fille de chef, d’accompagner son mari et de le prévenir des risques et des dangers.

Manga Masuke est originaire de l’arrondissement de Dibombari, dans le département du Moungo, en région du  Littoral et est le  fils de feu  Masuke Daniel, haut commis de l’Etat qui fut Ministre des Affaires économiques et du Plan dans le gouvernement Ahidjo.

Au gré des affections de son père, il fréquente tour à tour l’école publique primaire Joss de Douala, et celle du Centre à Yaoundé. Très tôt « Ebeny », son petit nom et diminutif de Ebenezer, affiche un caractère d’enfant insoumis. Enfant têtu, dans le langage courant ou hyper actif pour parler comme les pédo psychologues modernes. Il est exclu de l’internat du collège Vogt en classe de quatrième. Dans cette petite période d’égarement due à un trouble de comportement lié à sa personnalité, peu de gens y compris ses propres parents, voyaient en lui un avenir peu prometteur.

Heureusement, le jeune garçon s’assagit avec l’âge et poursuit normalement ses études secondaires. Il réussit successivement à son Bepc et à son Probatoire, examen considéré au Cameroun comme la première année du Bac qui donne accès à la classe de terminale. En juin 1972, il obtient son Baccalauréat au Lycée Général Leclerc. « Je n’étais pas un élève brillant mais je n’étais nul non plus. La preuve j’ai eu mon bac avec mention assez bien », nous confie-t-il.

Après le baccalauréat, Ebeny, comme le veut la mode de l’époque pour les enfants des parents d’un certain statut social, part en France poursuivre ses études supérieures à l’université Paris I Panthéon Sorbonne et à l’Institut de droit des affaires de Paris 2 Assas. Il y sort avec un diplôme de droit des affaires et conseil juridique et fiscal.

 Modestie

Dans ce haut lieu du savoir, il a pour condisciple maître Emmanuel Pensy et comme professeurs entre autres, Maurice Duverger, Jean Pierre Cot, Jean Denis Bredin (avocat et membre de l’académie française), Robert Badinter. De ses enseignants de haut vol,  il apprend la modestie.  » Le matin, vous empruntez la même rame de métro que le professeur émérite Maurice Duverger qui va vous faire cours deux heures d’affilées sans jamais lire de note. L’après-midi, vous lisez un article qu’il a publié au journal Le Monde et le soir il est l’invité spécial du journal télévisé de France2! Vous faites illico le constat simple, je ne suis qu’un grain de sable dans l’océan. Je ne vaux rien. « , déclare ce sexagénaire, amoureux des plantes.

Par cette remarque, il pousse, sans être moralisateur, les camerounais à la réflexion et certains d’entre nous à revoir nos comportements au quotidien.

Il a été très difficile de l’amener à parler de lui. C’est un exercice qu’il n’apprécie guère « Le moi est haïssable », nous ressasse-t-il pendant tout notre entretien.

Cependant, le souci premier de notre horticulteur demeure la jeunesse. Il conseille à ceux qui veulent se  lancer dans l’horticulture  de  se former et de choisir les créneaux rares et porteurs. Bref, présenter quelque chose de différent.  » On ne doit pas bricoler. Il y a risque qu’on ne soit pas compétitif. Le commerce  de quelque nature que ce soit est comme la ligue des champions. Ce sont les meilleurs qui gagnent », prévient-il.

Avoir la bonne information

Dans ce genre d’activités, dit-il, l’information est capitale. Et il faut avoir la bonne information et avoir la curiosité d’apprendre des autres. « Savez-vous qu’un litre d’huile de Moringa coûte entre 100 et 150 dollars sur le marché international et que l’arbre de la paix, très connu des populations de l’ouest Cameroun, appelé aussi Moneytree rapporte beaucoup d’argent aux chinois? », nous informe-t-il.

L’État doit, d’après Manga Masukè, encourager l’horticulture ornementale pour booster la croissance. Mais il faudra d’abord satisfaire le marché national avant d’envisager l’international. Et il pense que dans 30 ans, si le Cameroun s’y met sérieusement, il peut engranger énormément de devises grâce à l’horticulture ornementale dans un marché mondial des fleurs coupés qui s’élève aujourd’hui à 43 milliards de nos francs.

Pour ce passionné des fleurs, il est temps de changer de paradigmes et de discours à l’endroit de la jeunesse. Ne pas dire, selon lui, aux jeunes tout simplement de faire l’agriculture, mais leur démontrer qu’ils peuvent devenir riches en devenant agriculteurs. Les jeunes doivent garder foi en l’avenir et s’organiser en conséquence « The best way to predict your future is to build it », la meilleure façon de prédire ton avenir est de le construire, aime-t-il dire en s’adressant à cette tranche d’âge.

Il fustige en même temps toutes nos élites tournées vers l’extérieur qui préfèrent acheter les produits venant d’ailleurs au lieu d’encourager les producteurs locaux.

Cependant, notre ancien juriste et fiscaliste a beaucoup de projet en la matière. Il envisage de construire un parc à Dibombari où seront plantées toutes les espèces tropicales rares. Il compte par ailleurs y mettre sur pied une école de formation pour les jeunes. Des projets colossaux et des idées somme toutes originales qui tardent à se mettre sur pied par manque de financements et d’espace, cependant, pourraient faire de cette bourgade une destination touristique sans pareil auxquels devraient s’intéresser cette municipalité.

Après une grande partie de sa vie passée à Douala, capitale économique, Manga est retourné aujourd’hui dans son village natal Bosédi 1 à Dibombari à 15 kilomètres de son ancien lieu de résidence où il mène une existence paisible avec sa tendre épouse, tout en continuant d’exercer son activité.

Sa marque est visible dans la concession familiale non loin de son propre domicile où les fleurs taillées à l’anglaise participent au décor des lieux.

Quand il ne s’occupe pas des fleurs, Manga masukè, aime, dans ses moments de loisirs, écouter Haendel, Mozart, Abdullah Ibrahim, les grands classiques de la variété camerounaise et la bossa nova. Il passe deux à trois heures par jour sur internet et adore lire les autobiographies pour tirer profit des expériences des autres.

Pour lui, entretenir sa passion et en faire son métier, « C’est du pur bonheur ».

Félix  Epée


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